"En tant que rédacteur en chef, (Sheldon) Mayer achetait les plus idiotes des idées provenant des dessinateurs passant le pas de sa porte, du moment qu'il s'agissait de super-héros. Et ça marchait. Un dessinateur de pub, Martin Nodell, qui n'était nullement au courant que les comics existaient avant de se retrouver à la recherche d'un emploi, apporta son portfolio à Mayer qui lui demanda de "revenir avec un super-héros". Marty s'achemina vers le métro tout en réfléchissant à plusieurs idées et vit un employé travailler avec une lanterne verte. Il jeta sur le papier l'idée d'un personnage vêtu de vert, rouge, jaune et noir -avec une imposante cape mauve- qui trouve une lanterne de cheminot verte, alimentée par une météorite de la Chine Ancestrale qui lui offre en retour une bague magique. Ça n'avait aucun sens, mais Mayer se rua dessus. Et les gosses firent de même. Et Green Lantern fut un succès."
(Gerard Jones, Men of Tomorrow, 2004)
Durant la Grande Dépression des années 30, la conception et la publication des premiers comic-book engendrèrent une nouvelle forme d'expression. Une génération de jeunes immigrés éduqués dans la tradition juive et élevés dans la pauvreté et la ségrégation , remplit des centaines de magazines de personnages bigarrés révélant par la même les peurs, les angoisses mais également les rêves et aspirations de leurs lecteurs.
Au travers d'enquêtes, d'interviews et d'analyses, Gerard Jones retrace dans Men of Tomorrow : Geeks, Gangsters and the Birth of Comic-Book l'aventure à la fois commerciale, artistique et humaine des créateurs, éditeurs et même lecteurs et (futurs auteurs) de ces fascicules des années 30 à nos jours.
Jones, scénariste dans les années 80 et 90 de plusieurs mensuels (entre autres, Justice League Europe, El Diablo ou sa propre série dont il conserva les droits, The Trouble with Girls) et fin rédacteur du prozine Amazing Heroes où il créa le chroniqueur imaginaire Sidney J. Mellon (pastiche des fans bornés et ignares), souligna toujours l'influence sur lui qu'avait eu le Superman du Silver Age (1958-1959) : celui édité par Mort Weisinger et écrit en partie par Jerry Siegel. Le retour du créateur prodigue de l'Homme de Demain sous la houlette du tyrannique rédacteur en chef issu des pulps et du fanzinat de SF : le mélange détonnant, résultat des tractations sauvages entre DC Comics et ses créateurs et de l'autocensure grandissante de la compagnie.
Il n'est donc pas anormal que cette situation conflictuelle motive l'ouvrage organisant autour de cette lutte incessante entre les auteurs spoliés et les éditeurs protectionnistes la masse d'informations récoltée agençant ainsi un défilé de personnalités aussi fantasque qu'hors-normes. Qu'il s'agisse de Harry Donnenfeld, ami de Lucky Luciano, pourvoyeur de pornographie reconverti dans l'édition de comic-books avec la création de la National Periodical Publications (futur DC Comics), de son comptable, le redoutable Jack Liebowitz, et évidemment des jeunes turcs Jerry Siegel, Joe Shuster, Bob Kane, Will Eisner ou Jack Kirby.
De la même manière l'ouvrage prouve comment le bouillonnement créatif qui suit l'apparition de Superman de Siegel et Shuster profite de la liberté d'action et de la précipitation dans laquelle les créations suivantes sont inventées, reflète les tourments du prélude à la deuxième guerre mondiale.
Le Batman de Bill Finger, Kane et Jerry Robinson, le Captain America de Joe Simon et Kirby, le Daredevil de Jack Cole ou le Blackhawk de Will Eisner se chargent d'apporter à travers leurs univers paranoïaques et agressifs le conflit européen dans les mains de jeunes Américains de tout âge, sexe, origine ou condition sociale, ce, jusqu'à l'apparition en Hiver 41, au moment de l'entrée en guerre des Etats-Unis, de la Wonder Woman du psychologue obsédé William Moulton Marston, dernière représentante de ses "super-héro(ïne)s" à connaître un succès foudroyant.
De 1936, année où Siegel & Shuster vendent des prototypes du Superman à paraître (ce sera, on le sait, pour le numéro 1 d'Action Comics en juin 1938) à 1941, le super-héros, concept protéiforme, indéfini et surtout inédit s'affranchit de ses ancêtres, les justiciers des pulps, les vengeurs des romans de cape et d'épée ou les demi-dieux de l'Antiquité, afin d'investir au mieux la réalité contemporaine des artistes trimant dans les sweat-shops, ces studios où les illustrés sont produits à la chaîne, et se charge d'annoncer des lendemains meilleurs, au-delà des batailles homériques.
L'album collectif Supermen ! The First Wave of Comic-Book Heroes 1936-1941, édité par Fantagraphics et dirigé par Greg Sadowski, compile une vingtaine de ses histoires primitives effectuant un survol partial mais représentatif de cette époque héroïque. Si on excepte une introduction particulièrement insipide et embrouillée de Jonathan Lethem, le travail de restauration et les compléments en index offrent un instantané passionnant de la période.
Suivant la même réflexion que Gerard Jones, Sadowski découpe l'anthologie selon les compagnies respectives tout en gardant l'ordre chronologique, ce qui permet de mettre en relief autant la maturation du style et des intrigues que l'évolution du ton et des trouvailles de ce concept naissant.
A tout seigneur, tout honneur, Jerry Siegel et Joe Shuster ouvrent le bal avec Dr Mystic, the Occult Detective, strip de deux pages seulement, paru dans le premier numéro de The Comics Magazine de Mai 1936. La revue fut lancée par Cook & Mahon deux anciens associés du Major Weehler-Nicholson qui créa les premiers numéros de New Fun Comics et Detective Comics avec le duo Donnenfeld/Liebowitz, et étaient composées de pages récupérés durant cette séparation. Les deux pages en question sont par ailleurs la suite d'une bande de Siegel et Shuster parus dans New Fun : Dr Occult, the Mystic Detective ! Qu'il soit détective de l'occulte ou mystique, le bon Docteur est en tous les cas un intéressant prototype du futur Superman.
Dans cette aventure, Dr Mystic rencontre un autre super sorcier (et le premier en cape et masque des comics) : Zator, un allié avec qui il part à la rencontre des mystérieux "Seven". On n'en saura pas plus sur ce groupe, car en chemin Mystic et Zator sont attaqués par un autre être surnaturel, Koth, qui invoque des esprits vengeurs. Ici s'arrête la bande qui reprendra sous le nom de Dr Occult dans le numéro 14 de More Fun Comics d'octobre 1936.
Le trait de Shuster est déjà intéressant, alliant à la fantaisie des situations un rendu rigoureux, qu'il s'agisse de Mystic et Zator devenus géants se battant en plein New York, tels des monstres japonais ou de l'apparition d'esprits tentateurs dont une charmante fille nue, la censure ou plutôt l'auto-censure n'étant pas encore de mise.
Pour s'en convaincre, il suffit de lire le second choix de Sadowski : The Clock de George Brenner, tiré du dernier numéro de Detective Picture Stories (n°5, Avril 1937). 1er héros masqué des comics, vêtu d'un simple costume complet et d'un chapeau, the Clock est un ancêtre de Rorschach de Watchmen, son alter-ego, Snowy Winters étant un simple junkie sans le sou, qui arpente les bas-quartiers en quête d'infos sur la pègre afin de les dévaliser et redistribuer le butin aux plus démunis (une philosophie par contre, bien contraire à celle du vigilante de Moore et Gibbons). La bande est également notable pour son utilisation de dialogues crus très "parlés" : dans le script de Brenner, on trouve beaucoup de répétitions mais également plusieurs expressions et phrasés qui entretiennent la véracité des situations ("we gotta date with a coupla chorus cuties... an' we don' get to first base if we keep' em waitin' th' first time !") et la crudité de la violence (les policiers se sentant mal à la vue d'un cadavre). The Clock, comme la plupart des bandes de l'époque consacrées à des justiciers, s'acharne à retranscrire l'atmosphère de danger et de misère sociale de l'époque, environnement idéal pour l'éclosion de ces personnages.
Et lorsque les super-héros n'investissent pas les bas-fonds, ils conquièrent d'autres planètes ou défendent la Terre du futur, émules de Flash Gordon, comme leurs créateurs étaient ceux de son auteur, Alex Raymond et de son univers de space opera. Dan Hastings de Ken Fitch au scénario et Fred Guardineer aux dessins, publié dans Star Comics n°5 de Juillet 1937, dépeint un avenir dans lequel les Etats-Unis et le Canada sont en guerre contre un dictateur dont les envoyés ressemblent à des hommes-bêtes en tenue asiatiques. Les canons de la deuxième guerre mondiale ne tonnent pas encore que les auteurs entrevoient déjà les scènes de destruction massive et les intrigues de diplomates.
Space opera toujours avec Dirk Demon, le jeune héros de Bill Everett qui sur les couvertures rappelle Carrie Kelley, la Robin de Frank Miller dans The Dark Knight Returns. Le personnage en a d'ailleurs le caractère et n'hésite pas, dans ces trois pages tirées d'Amazing Mystery Funnies n° 3 de mars 1939, à poignarder ses assaillants afin de sauver une princesse alien kidnappée le jour de son mariage. Le style d'Everett est encore balbutiant, les personnages sont parfois trop identiques, les décors sont réduits à leur plus simple expression, mais une deuxième bande située en fin d'album, Sub-Zero (issue de Blue Bolt Comics n°5 d'Octobre 1940) montre les progrès effectués par le futur créateur de Namor en une année. Dans une ambiance sinistre, Everett confronte le héros-titre, créé par Larry Antoinette, à la vendetta du Professeur X, un savant fou revêtu intégralement d'une combinaison proche de celle de Diabolik. L'affrontement dans le repaire du Professeur qui voit Sub-Zero attaché et "rasé" afin de passer sur la chaise électrique recèle un sous-entendu sado-maso étrange.
Le sous-texte érotique est souvent prégnant dans plusieurs de ces histoires réalisées par des hommes jeunes qui n'hésitaient pas à adjoindre à leurs fantasmes de justice et de puissance ceux sexuels tout aussi formateurs.
Ainsi dans l'épisode de The Flame (Wonderworld Comics n°7 de Novembre 1939) réalisé à deux mains par Will Eisner (scénario et découpage) et Lou Fine (dessin) se termine en un apothéose orgasmique au cours duquel, le héros sauve sa belle alliée de la horde de morts-vivants qui les assaille en utilisant, suite aux suppliques de la jeune femme ("The Gun ! Use the Gun !"), le pistolet lance-flammes qu'elle lui avait rapportée, ce, dans une case d'une demi-page d'où jaillit le feu purificateur en une vague gigantesque.
Le découpage soigné et générateur de tension est magnifiée par les personnages élancés et musculeux de Lou Fine. Dans sa BD autobiographique, The Dreamer, Eisner évoque avec tendresse le jeune dessinateur qui, rongé par la polio, élaborait sur papier de parfaits surhommes. Malgré un costume plus que banal, the Flame demeure impressionnant tout du long de la bande, et encerclé par les zombies, il les soulève, son corps adoptant des poses que ne renieront pas des années plus tard le John Buscema du Silver Surfer ou le Steranko de Captain America.
The Flame a même le mérite de figurer sur la couverture de Supermen ! en lieu et place du Wonder Man de Eisner prévu jusqu'alors. Les sollicitations annonçaient en effet la reproduction de cette bande qui valut à Eisner et à Victor Fox, son patron et co-créateur du personnage, un procès carabiné de la part des ayant-droits de Superman. Fox, qui aimait s'auto-proclamer le "Roi des Comics", dut renoncer à son titre mais continua à demander des bandes aux studios de Eisner et de son partenaire Jerry Iger. Cette mine de talents est évidemment présente en force dans Supermen !
Le titre, simple, qui claque avec ce point d'exclamation, situé sous le dessin de Fine exp(l)osé en gros plan, est étalé en lettrage vert élancé mais massif et couvre sa largeur comme un train express, décrivant à la fois l'engouement et l'importance de cette industrie pour les dessinateurs de l'époque. Comme expliqué dans The Dreamer, il y avait autant de motivations que de dessinateurs pour entrer dans cette profession.
C'est ce qui distingue surement deux bandes situées côte à côte : Rex Dexter of Mars (Mystery Men Comics n°4 de Novembre 1939) et Cosmic Carson (Science Comics n°4 de mai 1940), deux histoires de space opera avec héros valeureux, adversaires redoutables, jolie pépée à sauver et sauvetage in extremis. Mais dans la première, Dick Briefer abat un boulot sans âme où il choisit de se concentrer sur le décorum des robots et engins, il bâcle autant ses personnages que le rythme, plombé par des dialogues qui prennent parfois toute la case. Dans la seconde, sous son pseudo de Michael Griffith (une constante chez ces auteurs, qui explique également le goût pour les "identités secrètes"), Jack Kirby fait déjà montre de ce qui va le distinguer des autres auteurs : machinerie inédite venue d'ailleurs (le canon de Carson dans la case-titre), découpage hardi visant l'impact des situations au-delà du simple enchainement de péripéties. Dès cette première réalisation solo à destination d'un comic-book (ces précédents étaient encore sous la forme de strips de journaux), la colère et l'excitation de Kirby prennent déjà d'assaut le regard du lecteur où il enchaîne les combats de plus en plus brutaux avant un final dans lequel Carson finit en sous-vêtements et tue à mains nues ses assaillants avant d'être tenu en joue par son ennemie dans une case montrant leurs profils rapprochés entre haine et séduction.
Aux côtés des artistes de son studio, le travail de Will Eisner apparaît comme étant plus mature : son Yarko, the Great (Wonderorld Comics n°8, décembre 1939) dispense une certaine ironie par rapport à son sujet. Le héros, un magicien typique de cette période avec turban, cape et smoking (comme Sargon, the Sorcerer chez DC ou Ibis, the Invincible chez Fawcett) rapatrie des Enfers l'âme d'une jeune fille tuée par une sorcière en feintant la Mort elle-même. L'invincibilité totale des deux opposants, leur absence totale d'émotions et les tenues de soirées arborées (la Mort est en chapeau claque, lunettes noires et costume), tout donne à penser qu'il s'agit d'une simple routine pour Yarko qui se débarrasse sans peine de trois monstres représentant la Douleur, la Peur et l'Horreur. Eisner se détache déjà de l'ambition primaire des comic-books de cette époque et de leurs joutes surhumaines et manichéennes, attitude qui l'amènera à créer son strip, Le Spirit, dans l'année qui suit.
A contrario, le travail de Fletcher Hanks semble démontrer qu'il se complaisait dans ces univers qui offrait au Bien tous les pouvoirs imaginables et au Mal un châtiment à la hauteur de ses méfaits. Profitant du succès qu'a connu la compilation de ses histoires parue en 2007 (I shall destroy all civilized planets !, éditée par Paul Karasik également chez Fantagraphics) et en prévision de la sortie imminente de sa suite (You shall die by your own creation !), Greg Sadowski a choisi une histoire de Stardust publiée chez Fox (Fantastic Comics n°12 de novembre 1940) et une de Fantomah parue chez Fiction House (Jungle Comics n°4, avril 1940). Au-delà de l'engouement pour son trait surréaliste qui alterne des décors et personnages naïfs à des animaux hyper-réalistes et des châtiments corporels graphiques, on peut quand même regretter que cet effet de mode, qui a déjà vu récemment Mike Allred réaliser un épisode de Stardust dans une reprise de Fantastic Comics chez Image, obscurcisse la vision de cette époque. Hanks est présent deux fois dans Supermen ! alors que Fine n'a droit qu'à une histoire et une couverture (une superbe illustration de Samson réalisée avec Eisner pour Fantastic Comics n°3, février 1940) et que l'absence de dessinateurs autrement plus imposant ou talentueux se fait cruellement ressentir.
Pas de Mort Meskin, pas de Reed Crandall, pas de Jerry Robinson, pas de Bob Powell... mais une histoire de Al Bryant, autre employé du studio de Jerry Iger, Fero, Planet Detective (Planet Comics n°5, mai 1940) assez mal nommé puisque le travail d'investigation du héros se limite à courir au secours d'un manoir assailli par d'étranges créatures avant de demander au propriétaire des lieux d'aller vérifier par lui même ce qui se trame dans ses bois, tandis que Fero reste dans la résidence. Une fois, le châtelain tué, Fero se décide à aller affronter les monstres (un gnome, un vampire et un loup-garou) qui, nous explique-t-on, font partie d'un plan d'invasion de la planète Pluton. La bande donne le sentiment d'une hallucination schizophrénique du fade Fero qui finit par emballer la fille du défunt, pas le moins traumatisée par le décès de son père.
Bien plus épatantes et spectaculaires, trois bandes de Jack Cole sont incluses. Si comme pour Hanks, l'on peut également parler de "favoritisme" (le biographe de Cole, Art Spiegelman étant un poids lourds de l'intelligentsia américaine), force est de constater que le choix est tout à fait judicieux tant les trois épisodes présentés font preuve d'autant d'inventivité que de brio à tous les points de vue : péripéties, découpage, décors et même dialogues.
Cole, humoriste dans l'âme, semble prendre avec la distance adéquate ses héros de papier et leur donne une certaine profondeur tout en pointant avec ironie mais sans lourdeur leur bizarrerie. Qu'il s'agisse de The Comet (Pep Comics n°3, avril 1940), Silver Streak (Silver Streak Comics n°4, mai 1940) ou l'extraordinaire The Claw battles Daredevil ! (Silver Streak Comics n°7, janvier 1941), Cole va au bout de son sujet et tient en haleine le lecteur en multipliant les décors et ressorts dramatiques.
Dans les histoires de Cole, the Comet et Silver Streak (créé au départ par Joe Simon), tout comme son autre création, Plastic Man (dont les aventures sont disponibles en collection Archives chez DC), font état de leur condition de héros et n'hésitent pas à recevoir chez eux des visiteurs. Pour le premier, un scientifique s'injectant un super sérum, cela le conduit à être kidnappé en pleine sieste par son ennemi juré Satan, qui avec l'aide son associé Zadar, l'hypnotise et lui fait commettre une vague de crimes, terrorisant la ville et mettant en échec la police. Pouvant voler et possédant un rayon optique mortel qu'il cache sous une visière, source d'inspiration pour le Cyclope des X-Men, The Comet s'en prend alors aux forces de police allant jusqu'à les massacrer dans des pages d'une violence et d'une vigueur telles qu'on y voit déjà des motifs que réutilisera Neal Adams voire le Nexus de Mike Baron et Steve Rude des années plus tard... Pas encore soumis aux règles du Comics-Code, The Comet prouve la liberté de ton qui verra ce personnage, pourtant édité par la future maison Archie Comics (la firme MLJ dont les héros sont ressuscités par DC Comics), mourir quelque temps plus tard, passant à la postérité comme le premier super-héros tué au combat.
Moins lugubre, l'épisode de Silver Streak voit l'apparition de son uniforme (avec le malvenu symbole "SS"). Super-rapide, Silver Streak n'a pas connu la longévité de The Flash ou Johnny Quick (chez DC) : plus faiblarde des histoires de Cole, elle demeure néanmoins au-dessus du lot. Amusant quand Cole débute et clôt l'intrigue par un gala de charité qui oblige Silver Streak à poursuivre le mystérieux "Doc" et ses insectes et araignées géants durant un entracte de vingt minutes, l'épisode clôt la précédente intrigue de Simon et Cole en profite pour tester les possibilités des casses de BD afin de représenter la vitesse notamment le sauvetage in extrémis d'un garçon menacé par un véhicule fou. Cole soigne également la chute et le suspense : après un retour sur le fil au gala de charité, on aperçoit dans les dernières cases le futur ennemi, cagoulé, de notre héros. Il était important pour ces magazines pris dans une concurrence redoutable de fidéliser le lectorat.
C'est ainsi que dans le numéro 7 de Silver Streak Comics (janvier 1941), Jack Cole reprend le personnage de Daredevil et l'oppose à sa propre création, le machiavélique The Claw. Jouissant actuellement d'un regain de popularité -il revient sous le nom de Death-Defying Devil dans le Project : Superpowers d'Alex Ross et Jim Kruegger et fait partie du supporting cast de Savage Dragon d'Erik Larsen- ce premier Daredevil fut inventé dans le numéro 6 par Jack Binder. Comme pour Silver Streak, Cole ne garde que l'idée de base - un acrobate se servant d'un boomerange- et le réinvente : il lui fait adopter une combinaison rouge et bleu et abandonne l'idée du handicap (DD est muet sous son identité civile). Responsable éditorial du magazine, Jack Cole avait inventé dans ses pages le personnage de The Claw : un géant machiavlélique, leader d'une organisation maléfique qui était une caricature encore plus grossière du "méchant asiatique" que son inspiration, Fu Manchu.
Avec son immense taille et sa tête de Skrull avant l'heure, The Claw fit sensation en couverture de Silver Streak et, le pays s'acheminant vers une guerre de plus en plus probable, il devint le symbole de la menace des forces de l'Axe.
Et lorsque ce dernier lance une attaque terroriste de grande envergure sur New York, il n'en faut pas plus pour que Bart Hill, mondain volage qui conte fleurette à sa fiancée tout en devisant des évènements mondiaux, n'endosse son costume de justicier et se lance dans un combat de 12 pages, neutralisant son armée à mains nues, s'échappant des pièges les plus incongrus grâce à sa formidable endurance physique -il remonte un puits au fonds piégé de pointes et de serpents en courant le long de sa paroi- et finit dans un duel singulier en plein Times Square avant d'être avalé par son ennemi et de s'échapper en lâchant de la dynamite dans son estomac. Surréaliste et furieux, ce combat entre des David et Goliath des temps modernes s'étendra sur cinq numéros avant que Daredevil ne s'attaque à une autre menace beaucoup plus réelle dans Daredevil battles Hitler ! (daté de Juillet 1941) réalisé en un week-end dans un blizzard par Charlie Biro, Bob Wood et ses frères, Bernie Klein, Mort Meskin et Jerry Robinson... Lev Gleason et Charles Biro, les autres têtes pensantes de Silver Streak, étaient à l'époque impliqués dans de nombreux conflits sociaux et politiques, Gleason lui-même était membre du Parti Communiste et leur engagement transparaît dans ces publications. Dans l'épisode réimprimé, Bart Hill déclare que "Nous devons profiter de la paix tant qu'elle est là - et combattre pour la reconquérir dès qu'elle s'est enfuie !-", une leçon distillée à un pays encore isolationniste en ce début 1941.
A l'opposée des innovations graphiques et narratives de Jack Cole, on trouve celles des scénarios et concepts de Gardner Fox : avocat au chômage du temps de la Grande Dépression, Fox trouva un job de scénariste sur Detective Comics grâce à son ami, responsable du titre, Vin Sullivan. Sans la moindre expérience antérieure, Fox dévoila un flair particulier pour les super-héros, notamment en ce qui concerne leurs pouvoirs et leur narration débridée. Très vite, il fut appeler en renfort de Bill Finger sur Batman afin de rendre des scripts dans les temps : il inventa en quelques histoires les gadgets et engins qui font toujours à ce jour partie du folklore du héros et lui fit connaître son premier ennemi (Dr Death) ainsi que sa première incursion dans le fantastique (avec le vampire The Monk), histoires reprises par Matt Wagner dans le récent Batman : The Mad Monk.
Supermen ! présente trois histoires introductives rédigées par Gardner Fox concernant trois héros oubliés : Marvelo, Monarch of the Magicians ! (dessiné par Fred Guardineer, Big Shot Comics n°1, mai1940), The Face (par Mart Bailey, id.) et Skyman (par Odge Whitney, Big Shot Comics n°2, juin 1940).
Les trois épisodes témoignent de l'influence du Superman de DC Comics sur cet éditeur, Columbia Comic Corporation qui avait réussi à récupérer Sullivan et ses auteurs : particulièrement habiles et soignés, les dessins sont similaires à ceux des ghosts du studio Shuster, et leurs qualités respectives sont intelligemment attribuées à leurs personnages.
Fred Guardineer offre une ligne claire imaginative aux pérégrinations de Marvelo, Candide qui à peine arrivé sur le territoire des USA affronte la pègre et se lie d'amitié avec un policier. Bien qu'accompagné d'un serviteur asiatique, ce dernier reste à l'écart de toute action, Gardner Fox avait sans doute songé à un plagiat de Mandrake le Magicien, mais s'en écarte bientôt au gré de ses fantaisies. Spécialiste de l'intrigue marabout-bout de ficelle, Fox additionne les pouvoirs de Marvelo au fil de ses exploits : il anime des statues, réveille les morts, désintègre des camions quand il ne les téléporte pas ou bien fond les jambes de ses ennemis.
Peut-être le jeune Steve Ditko, collectionneur invétéré dans les années 60, est-il tombé sur Big Shot Comics et peut-être s'est-il rappelé de Marvelo pour son Dr Strange, ou de The Face pour the Question. Comme Vic Sage, l'alter-ego de The Face est un animateur (à la radio dont il est propriétaire) et évolue en complet veston avec un masque lui dissimulant les traits sous une apparence monstrueuse, afin de glaner les infos susceptibles d'alimenter son combat contre la pègre autant que ses chroniques. L'efficace Mart Bailey soigne le look de ce champion de la justice ainsi que l'ambiance nocturne dans laquelle il évolue et terrorise ses ennemis.
Enfin, Odge Whitney donne vie à Skyman, débonnaire aviateur en pull rouge, cape et masque bleus et dont la visière opaque offre un visage constamment impassible malgré les péripéties invraisemblables qui se succèdent. Aux commandes de son avion futuriste, the Wing, et armé de son stasimatic gun (qui peut paralyser autant que tuer), Skyman mène la vie dure aux sbires d'une nation ennemie désireux d'envahir les Etats-Unis. Fox apporte sa passion pour les gadgets dont les ventouses de se balader sur le toit des avions alliés, un appareil photo doublé d'un radar ultra-perfectionné lui permettant de repérer les bases ennemis ou bien plus simplement des skis doublant James Bond dans la chasse aux espions sur les monts enneigés. Particulièrement endurant et increvable, le Skyman, à la cage thoracique et aux avant-bras proéminents, n'affronte pas ses dangers sans encombre puisqu'il finit blessé par balles. Sa bonhomie l'empêche de se plaindre et le rend même sympathique quand il regrette avoir balancé par accident un truand par la fenêtre.
Si les super-héros de Gardner Fox et ses dessinateurs offrent une vision professionnelle et abordable des héros, d'autres auteurs en profitent pour mettre en avant non les personnages ou les intrigues mais leur propre style visuel qui ne demande qu'à se perfectionner au gré des galops d'essai. C'est le cas de Basil Wolverton, futur pillier de Mad Magazine auquel il accordera ses portraits grotesques et son humour iconoclaste, qui démarre sa carrière sur le tonitruant Spacehawk, Superhuman Enemy of Crime ! dont la septième apparition est réimprimée (Target Comics n°11, décembre 1940). Spacehawk est un justicier évoluant, comme son nom l'indique, dans l'espace et ses pérégrinations l'amènent ici à retrouver une vieille connaissance devenue contrebandier, s'en suit une course-poursuite endiablée et un combat commun face à des pirates aliens aux formes incongrues dont les Vultoïds, sorte de lézards ailés. La clarté limpide avec laquelle Wolverton agence son action, la simplicité quasi-enfantine dans le rendu grotesque des monstres mais aussi la grande humanité apportée aux relations entre Spacehawk et son ami Galar auquel il offre un portrait touchant ; tout ceci prouve l'implication de Wolverton dans une bande qui lui y échappera avec l'entrée en guerre des Etats-Unis autant que Spacehawk qui finira ses aventures sur Terre à traquer les nazis, loin du bestiaire fantastique de son créateur.
Une transition qui sera moins fatale pour ses collègues de Novelty Press, le tandem Joe Simon / Jack Kirby qui réalise à la même époque Blue Bolt. L'épisode réimprimé (tiré de Blue Bolt n°10, mars 1941) fait état de l'apport considérable de Simon (qui écrit et encre les dessins de Kirby) ainsi que des progrès de Kirby canalisant de mieux en mieux ses envies et colères. Ainsi, le script de l'épisode est similaire à celui de Cosmic Carson présenté plus en avant : Blue Bolt vient au secours de son ennemie la Green Sorceress dont le règne sur son empire souterrain a été renversé par un racketteur de la surface, Rocky Roberts. Appliquant la triste loi de la mafia à ce royaume d'émeraude, Roberts met en place des milices terrorisant et brutalisant ses habitants. Pour Simon & Kirby, le message est clair : la loi de la rue mène au fascisme, les Nazis ne sont rien de plus que des brutes et des gangsters qui se sont emparés des démocraties et une seule solution s'impose : les représailles.
Loin d'imaginer qu'il va bientôt se retrouver à batailler en pleine France occupée sous les ordres du Général Patton, Jack Kirby fait déjà montre de son engagement antifasciste et son désir d'en découdre matérialisé dans son art qui amplifie également le caractère érotique de son trait par le biais de la Green Sorceress, suave guerrière en bikini enchaînée puis ligotée à un engin de mort aux accents phalliques prononcés, avant de s'en servir elle-même pour atomiser Roberts.
Violence exacerbée, description détaillée des exactions de la milice de Roberts, dont une case saisissante montrant des opposants assassinés baignant dans leur sang sous l'ombre déployée de leur meurtrier, utilisation de machinerie et engins fous, motos volantes, vaisseau supersonique, bolide rageur : jamais au cours des dix pages le tandem ne faiblit, leur rage juvénile exorcisant les démons de leur génération, ce juste avant de lui offrir un symbole en inventant pour la concurrence Captain America.
C'est avec ce héros puis Wonder Woman que les Etats-Unis entrent en guerre, la propagande rejoignant dés lors le discours de ces illustrés, les G.I. trouvant en ces surhommes autant un idéal qu'une évasion bienvenue face aux horreurs quotidiennes et inédites dont ils vont devenir les témoins.
Avec l'attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, le Règne des Supermen entrevu par Siegel & Shuster, poursuivi par Jack Cole, Will Eisner, ou Gardner Fox et assis par Simon & Kirby, connaîtra sa première grande vague de popularité. Poursuivi par la télévision, le cinéma et de nombreux auteurs, ce concept naïf, grotesque mais toujours évocateur ne semble pas près de s'éteindre.
The Flaming Houtch
Post Scriptum :
Supermen ! The First wave of Comic-Book Super-Heroes 1936-1941 est édité par Fantagraphics
Men of Tomorrow de Gerard Jones est disponible en VO aux éditions Arrow Books
En France : l'éditeur Univers Comics propose des traductions de super-héros libres de droits avec Golden Titans dont le numéro 1 vient de sortir.
Tout n'est pas parfait, notamment la traduction et le rendu des couleurs et le choix de Mr Scarlet, bande de Fawcett (l'éditeur de Captain Marvel) n'est peut-être pas judicieux, mais la très sexy Phantom Lady de Matt Baker est un bon compromis entre le "good girl art" et la vague des comics de crime qui vont pulluler après-guerre, et si Black Terror écope d'un scénario nullissime, le tandem Jerry Robinson / Mort Meskin aux pinceaux ne se rate pas. En complément du premier numéro, se trouve l'une des premières apparition de The Flame de Fine et Eisner.
Vous savez donc ce qui vous reste à faire et que la couverture bâclée et la reproduction inégale ne vous empêchent pas de soutenir cette initiative.