Nick Fury : Soldat, Espion, Cerveau (1)
Vous entendez là ? Un coup d’extraits musicaux du compositeur Frank De Vol pour évoquer la lutte courageuse d’un petit groupe d’hommes contre les Nazis, quelques autres de Roy Budd pour les films de commandos et enfin, le thème arrangé de James Bond par John Barry. Pourquoi ? Parce que l’équation de ces trois compositeurs de musiques de films illustrerait parfaitement bien les périodes majeures et incontournables du personnage de Nick Fury, qui vécut ses plus belles aventures sous les coups de crayon respectifs de Jack Kirby, Dick Ayers et Jim Steranko. Word !
Le Maître De Guerre (première partie)
Nous sommes au début des années 60 dans les bureaux de
Dans ce premier épisode d’une longue série de 120 numéros, l’histoire nous entraînait en France, à l’approche du D-Day, où le sergent Fury et son unité y était envoyé pour secourir un membre de la résistance détenant des informations capitales pour le débarquement. Mais sur le chemin du voyage, leur avion était abattu en plein vol par les Nazis…
C’est donc avec cette aventure écrite par Stan Lee, dessinée par Kirby, encré par Dick Ayers et titrée "Seven Against The Nazis", que le lecteur faisait connaissance pour la première fois avec le sergent Nick Fury et ses hommes, parmi lesquels figurait Dum Dum Dugan, considéré comme l’un des plus populaires second couteau du Marvelverse, qui bénéficiera par ailleurs d’une aventure solo dans le numéro 26 de la série, délicieusement intitulé "Dum Dum Does It The Hard Way !". Saisi par le sceau de l’expression maximale des dessins de Jack Kirby et des efficaces histoires de Stan Lee, Sgt. Fury & His Howling Commandos calquait sa mécanique sur celle des films de guerre de séries B (récit d’expédition) où se faisait ressentir, par extension, l’influence évidente des métrages de Samuel Fuller (à commencer par l’emblématique cigare mâché, quintessence du soldat Fullerien à l’écran). On relèvera qu’à l’image de J’ai Vécu l’Enfer De Corée (1951) et de son progressisme raciale, Sgt. Fury & His Howling Commandos faisait figurer au sein de ses pages les mêmes intentions fédératrice (le soldat Izzey Cohen, premier héros ouvertement juif d’un comic-book) quitte à provoquer la controverse, notamment avec le personnage de Gaby Jones, équipier noir de Nick Fury en pleine seconde guerre mondiale alors que dans les faits, l’Amérique, à cette période, était loin de dissimuler le ségrégationnisme affichée dans son armée. Plus animé par l’humain que par un détail qui valut aux deux auteurs une volée de bois vert de la part de quelques associations conservatrices du sud des Etats-Unis, Lee et Kirby se fichaient bien de rentrer dans le rang et bousculaient même les conventions du comic-book, comme lorsqu’ils évoquaient les camps de concentration dès le numéro 2.
Sans doute vaguement inspiré par les rôles de sergent gueulard qu’interprètent Richard Widmark et John Wayne, respectivement dans Sergent
Après un intermède de cinq numéros signé de l’ex-encreur de la série, Dick Ayers (à propos duquel nous évoquerons le meilleur), Jack Kirby reprit le contrôle de sa création le temps d’un épisode, pour associer deux de ses personnages évoluant durant la seconde guerre mondiale dans un historique numéro (le #13, comme quoi…), qui voyait l’apparition de Captain America aux côtés du Sergent Fury.
Dans cet épisode intitulé "Fighting Side-By-Side With Captain America & Bucky!" publié en décembre 1964, Captain America et Nick Fury, accompagnés respectivement de Bucky et des Howlers, avaient pour objectif de dynamiter la construction d’un tunnel sous la Manche par
les Nazis (ça ne s’invente pas), ces derniers projetant d’envahir
l’Angleterre. Véritable numéro culte, Captain America, en début
d’histoire, exportait son statut de légende vivante jusque dans les
salles obscures Britanniques dans des exploits filmés reléguant ceux
des Howlers au second plan. L’idée
était bien sûr d’afficher dans les pages de ce numéro, souvent dans
des scènes et dialogues à l’inénarrable potentiel comique, un certain
rejet de Nick Fury à l’égard de la désormais idole étoilée, que le
combat contre un ennemi commun allait bien évidemment faire s’effondrer
dans la tradition du respect militaire et du devoir patriotique. Avec
ce numéro, Jack Kirby concluait en toute beauté son aventure sur le
titre (en continuant d’officier sur l’illustration de quelques covers), tout juste quelques mois avant un fracassant retour dans les pages de Strange Tales sur la série Nick Fury, Agent Of S.H.I.E.L.D,
faisant de cette aventure les fondations d’un univers désormais commun
aux deux personnages et d’une alchimique association de figures
héroïques (au sens le plus noble), qui allait à jamais imprimer
l’univers Marvel.
Marquant la reprise en main du titre par Dick Ayers désormais propulsé dessinateur de la série (si l’on excepte donc le numéro faisant figurer Captain America), "The Death Ray Of Dr. Zemo!", imprimé en juillet 1964, allait également coïncider avec l’arrivée d’un nouveau Howler (définitive celle-là), Percival Pinkerton, un soldat Britannique répondant au surnom sans équivoque de Pinky, objet d’un échange d’amabilité entre Dick Ayers et Stan Lee, ce dernier s’attribuant la paternité de l’idée d’avoir introduit (oui, oui) au sein des Howlers un personnage homosexuel.
Résolument tourné vers l’action avec ce regret de voir désormais certaines considérations sociales passées à la trappe, l’essentiel des premiers épisodes créés par Stan Lee et Dick Ayers ne conservaient de leur trépidante lecture que grâce à la présence de guest historiques comme Adolf Hitler dans "Mission: Capture Adolf Hitler!", de personnages qui s’imposeront plus tard dans le background d’autres héros Marvel, tel le Baron Zemo dans "The Death Ray Of Dr. Zemo!" ou encore de drôles d’idées comme dans "The Blitzkrieg Squad Of Baron Strucker!" où la némésis de Fury, le Baron Strucker, mettait sur pied une équipe de soldats aux caractéristiques identiques à celles des Howlers. Considérant qu’il fallait laisser sans doute du temps à Dick Ayers de trouver ses marques aux côtés de Stan Lee, le meilleur intervint au #18 avec "Killed In Action!" (publié en mai 1965 et bénéficiant d’une superbe couverture de Jack Kirby) dont les événements allaient grandement contribuer à faire du Nick Fury version S.H.I.E.L.D., un héros terriblement solitaire.
Dans ce numéro, Stan Lee et Dick Ayers s’ingéniaient dès les premières pages à faire progresser la dramatique de l’histoire en agitant constamment aux yeux des lecteurs la possibilité d’un rebondissement tragique, articulé autour des sentiments de Fury à l’égard de sa fiancé Pam Hawley (dont il fit la connaissance dans l’épisode #4 : "Lord Ha-Ha's Last Laugh"). L’histoire de Lee et Ayers allait culminer à son point le plus paroxystique lorsque Fury, de retour de mission en Norvège, allait apprendre la mort de Pam, tué lors d’un bombardement ennemi. Sans équivoque le plus poignant et intense numéro produit sur Sgt. Fury & His Howling Commandos, figurant également parmi la réussite la plus incontestable signée de l’ère Lee/Ayers.
Par la suite, puisque conjointement à la série paraissaient dans les pages de Strange Tales les aventures de Nick Fury en tant qu’agent du S.H.I.E.L.D, Sgt. Fury & His Howling Commandos allait concentrer dans les siennes l’explication d’événements se déroulant sur le titre dessiné par Jack Kirby, comme par exemple en dévoilant les origines des raisons qui contraignirent Fury à porter son célébrissime cache-œil, dans "Fury Fights Alone!" (#27).
Bien que Stan Lee quitta l’aventure de Sgt. Fury & His Howling Commandos après 29 numéros (et rejoindre ainsi Kirby sur Nick Fury, Agent Of S.H.I.E.L.D.), l’arrivée de Roy Thomas ne bouleversa pas pour autant le schéma établi par the Excelsior, pour clairement s’emparer de la méthode qu’il allait bourrer de références cinématographiques liés au genre film de guerre. Au côté d’un Dick Ayers dont les progrès se faisaient de plus en plus détonnant, l’on se délectait des inspirations issues de
Ce n’est finalement qu’à l’arrivée de Gary Friedrich comme scénariste, après que Roy Thomas ait occupé le poste durant une douzaine de numéros, qu’un véritable changement allait s’opérer. Si l’idée des missions impossibles confiées par le Capitaine Sawyer à Fury et à ses Howlers perpétuait la tradition du titre, Friedrich n’allait pas limiter le développement de ses histoires au background déjà existant, mais allait user des péripéties militaires du Sergent Fury et des ses hommes pour y laisser poindre certaines résonances politiques dans un pays secoué de l’intérieur (assassinat du Sénateur Kennedy ou de Martin Luther King) et en proie à des doutes et violences extérieures (embourbement des troupes US dans le conflit Vietnamien). Il était donc question d’assassinat de dirigeants politiques des forces Alliées ("The Assassin!" #51), de l’évocation des prisonniers de guerre ("On The Beach Waits Death!" #50 ; "Izzy Shoots The Works!" #54 ; "The Informer!" #57), de la lutte pour les droits civiques ("Gabriel, Blow Your Horn!" #56) ou d’histoires s’élevant au rang de charge antimilitariste ("The Peacemonger!"#64; "The War-Lover!" #45). Intellectualisant le titre plus que ne l’avait fait auparavant Roy Thomas et la période Lee/Ayers ou plutôt, développant des histoires allégoriques sur la situation vécue par le pays alors, Friedrich et Ayers (secondé et épaulé sur certains numéros par l’excellent John Severin) n’oubliait pas de muscler pour autant les pages issues de leur collaboration pour livrer à l’amateur de morceaux de bravoure quelques numéros à l’efficacité bien nourrie. On relèvera parmi ceux-ci la réapparition du Blitzkrieg squad dans "If Britain Should Fall!" (#48, comptant également pour l’une des apparitions les plus bouffonesques d’Adolf Hitler) ; "D-Day For Dum Dum!" (#59), dans lequel l’on assistait à la transformation du Colonel Klaue en un simili super vilain affublé d’une combinaison et d’une main en acier désormais gadgétisé (à la manière du personnage de Torque dans la série Sloane, Agent Spécial avec Robert Conrad) ; "Blood Is Thicker!" et "Liberty Rides The Underground!" (#65 et #66) où Fury, capturé par les Nazis, était confronté à Hitler en personne ; ou encore les explosifs "The Missouri Marauders!" et "Burn, Bridge, Burn!" (#70 et #71). Tout en considérant, bien évidemment, qu’avec un peu moins de 80 numéros à l’actif du duo Friedrich et Ayers, il s’agissait là d’une liste non exhaustive.
De Stan Lee à Gary Friedrich en passant par Roy Thomas, aux illustrations de Jack Kirby, Dick Ayers et John Severin, chacun de ces hommes auront donc contribué de manière impressionnante à faire que subsiste dix ans durant, cet incroyable pari de Stan Lee et Jack Kirby fait, à l’aube de l’année 1963, à un certain Martin Goodman. Une
formidable équipe créative qui fut réuni, à des intervalles différents
mais avec cette cohérence et cette continuité dont peu de comics peuvent se prévaloir d’avoir fait figurer, sur le titre Nick Fury, Agent Of S.H.I.E.L.D.
Equipe qui vit son rang qualitatif grossir, et de quelle manière, par
l’apport d’un homme qui fut pourtant victime d’un premier examen de
passage raté à
A suivre...
Cfury